Freedonia

Du labyrinthe Circulaire

August 17th, 2015

Bons enfants,
l’espérance
fortunée,
la bienfaisance
de la gaîté :
le point du jour
le jour,
les rosiers
du midi!
Aux fleurs!
Lapins.

Mauvais garçons,
bons vivants,
chasseurs
ternes,
Etienne, Marcel.
Des Anglais,
des Italiens,
des Bretons.
La pompe
au male,
la grande truanderie
moderne:
couche,
jouy.

La gerbe.

Javel

Un cœur

August 17th, 2015

Baptiste,
(un Basque espagnol)
un charme !
le nez au milieu de la figure,
chou
à son habitude,
un bienheureux
qui rigole,
un diable de sa boîte
des portes cochères,
un lion !

Un coup de fil
convenu
qui dirait
à l’accoutumée
personne :

« Bonjour
Job »,
(un Polonais,
son nom l’indique ;
une âme en peine,
une bête curieuse :
le loup blanc,
un damné :
l’as de pique.)
« il vous plaira…
Un rien…
… dans un moulin
à Gravelotte ?
Il faut…
si de rien n’était… !
Promis ? »
« – Promis. »

Par hasard,
par magie
de bien entendu,
par enchantement
chien et chat,
Larrons en foire…
Cochons !

On fait son lit, on se couche ;
sa poche,
sa première culotte,
(cul et chemise)
les doigts de la main ;
une queue de pelle
s’il en pleuvait,
un clou,
un piquet,
un manche à balai
sur des roulettes
dans un four
– un trou !
« Je te pousse
Ci comme ça. »

Tout :
la braise,
l’éclair,
un pied !

Une image :
La lune,
Le monde,
le vent,
son ombre.
Un seul homme,
pas deux.

Demi-vie moyenne (2013)

February 15th, 2015

«Qu’est-ce que j’ai? se disait-il, le cœur lourd. Qui sait? c’est l’angoisse crépusculaire.» (Un Balcon en forêt)














Jeu de l’été.

June 17th, 2014

Blondes

October 2nd, 2013

En Norvège, le parti de droite Droite s’allie avec le «Parti du progrès», la formation auquel appartint jadis le sémillant nazi Anders Behring Breyvik. Voilà qui donne un sens tout neuf au slogan des conservateurs: «des opportunités pour tous». Cette coalition reçoit le soutien sans participation de formations traditionnelles bien présentables, bien sûr: les chrétiens-démocrates et les libéraux de Gauche (Gauche signifie un truc du genre libéral et mécréant par là-bas).

Les logos n’ont pas trop bougé depuis 2005, à l’exception de la Gauche radicale, qui s’est redessiné pour des raisons obscurs un truc branchouille genre «l’AREV joue au tan-gram», et le Parti du centre qui a épuré le dessin de son trèfle (comme un agrarien polonais qui flirterait avec un designer d’Oslo). L’onomastique partisane et ces logos barbants comme un smorgasbrod défraîchi un interminable dimanche d’hiver (également appelé nuit de 24 heures) le démontrent s’il était besoin, la Norvège est moins que jamais le Pays du sourire.
















A1: Bien sûr qu’il y a des personnes et des choses, pas de petites choses, qui rendent la vie chouette.
A2: Mais j’avais eu, au tournant de 2011 et 2012, cet amour avorté, bref, impossible et tourmentant pour le type de L.A., dont j’ai parlé ailleurs. Toujours la distance géographique a créé contre moi une impossibilité. Ou est-ce l’impossibilité psychologique qui s’est complu dans les distances?
A3: C’était, aussi, un tournant de l’année après d’autres. Certains sentiments sont comme les collègues: après les avoir côtoyés quotidiennement tout un temps, on perd leur trace, on les oublie, ils ne se rappellent à nous qu’une fois l’an à date fixe, ou par exception lorsqu’on s’interroge subitement: tiens, il devient quoi?
B1: De loin en loin, ces temps-là, j’ai vu Séb H dans des bistros. Je crois que, connaissant l’Ecole et moi un peu, il s’assurait que ça allait aussi bien que possible. Il avait changé de vie, trouvé une autre vocation d’aventure, était retombé amoureux.
B2: Je repris le chemin de Stras-, me promettant d’être le censeur pamphlétaire de cette Ecole absurde, de Me Foutre Carrément De Tout, fort aussi de cette question posée par mon chef à mon départ : «tu ne veux pas quand même finir dans les grands corps?» : et c’est vrai, au-delà des ambitions moutonnières du classement, d’une inscription à un énième tableau d’honneur (mom would be so proud), le voulais-je? N’était-ce pas demander un ultime report d’incorporation dans la vie?
B3: «La vie semblait se dérouler plus vite que les pensées.» (La marche de Radetzky)
C1: A Madrid. Mes carnets, mes photos de cette époque sont pleins de citations, d’images de désuétude 1950 prises un peu partout. Elles se répètent. Sans projets de voyage, sans Roth, Modiano, Gracq, Simenon, Barbara Hepsworth, sans les enseignes abandonnées, ces autres compagnons qu’on se donne, je n’aurais pas trouvé en moi-même de sens à ma déambulation, ni la force de poursuivre.
C2: «Cette prostitution inouïe des toisons». BoxingBoy citait Saint-Simon évoquant, déjà, les faux plans madrilènes. Il me semble que sur lui aussi, à cette époque, s’est abattue une tenace angoisse.
C3: Il pesait comme un temps d’insurrection civile, un air lourd; une grande manifestation était annoncée. La dureté des temps étouffait, il fallait marcher, camper à nouveau sur les places, ou rouvrir quelques espaces à la marge, comme Camilo. Et discuter jusqu’à pas d’heure dans des troquets perdus, manger des tapas hasta fin de existencia.
D1: Ma promenade verse spontanément au centre de Paris. C’est le réceptacle des désirs, des espoirs et des souvenirs. Il me faut faire l’effort de remonter à l’amont.
D2: Aux Folies Bergère, un meeting de campagne fut l’occasion du meilleur et du pire. Bambi avait évoqué avec une élégance merveilleuse les temps anciens, le combat pour être soi, pour être dignes et libres. Geoffroy Did:er était venu narguer l’assistance du mépris qu’ont les parvenus, les réactionnaires et les porte-flingue, mépris qui leur tient lieu de style, de métier et de ligne politique. On avait hurlé notre dégoût de de cette honteuse compradore et de cette sale période, dont nous ne savions pas encore si elle devait finir bientôt.
D3: J’ai été stupéfait, triste, enragé aussi, d’une conversation avec un ancien camarade de ScPo, un type jusque-là d’une droite classique et présentable: un balladurien. Dans un dîner avec Matthieu DC et Fillette, il expliqua très placidement que, oui, il y avait trop d’étrangers en France, qu’après tout le droit à une vie familiale normale n’était qu’une contrainte internationale dénonçable. J’ai rompu, en mettant un terme au dîner en criant; ça m’a laissé l’amertume à la bouche.
E1: Dans la banlieue de Manchester, avec Liam. A perte de vue, ces villas de brique mitoyennes, certaines et fort enjolivées de pignons et de colonnades. Elle évoque le Blitz, un échange scolaire (au temps où le laitier livrait encore), d’innombrables colocations d’adultes d’âge mûr, le jardinage et les horaires de bus. Il s’en dégage tellement de mélancolie, de grisaille, de laborieuse résignation qu’il paraît que le crachin la baigne continûment.
E2: D’un autre côté, la campagne anglaise par la fenêtre du train, rebondie et neuve, pittoresque, confirme le plaisir fiable de Constable et des séries policières du dimanche soir.
E3: A peu près à cette époque-là, je rejoignis Fillette à un meeting de Mélenchon et il me proposa de tracter avec lui et les pédés du Front de gauche, à l’entrée du Palais des expositions. C’est ainsi que je repris une vie militante.
F1: A Meudon, les rues le dimanche soir sont abandonnées, mais vivantes et pleines du chant des oiseaux, du palpitement des odeurs végétales et du murmure lointain des moteurs: voitures égarées, hélicoptères d’Issy, avions d’Orly. Les porches des maisons sont désertés, archétypiques et mine de rien effrayants, comme dans un tableau de Magritte. Les lucarnes s’allument en haut des pavillons mais on craint de ne jamais croiser âme qui vive.
F2: Mon anniversaire de cette année-là fut un nadir. Ma famille l’avait zappé, reporté à l’infini pour mener des tâches plus pressantes. Je me sentais raté et seul. François et Nicolas B2 et le «récital emphatique» de Michel Fau me changèrent les idées, et la drôlerie de Giray inopiné.
F3: «Le mal de n’habiter nulle part»: touriste jusque chez moi, je logeais temporairement rue de la Roquette.
G1: Paris avait de nouveaux lieux, sinon une nouvelle attitude. Le Raymond Club qui offrait l’intimité d’un ancien club échangiste, le Bonne Nouvelle où l’on revivait le mardi la bruyante parade des désirs et des vanités qui s’ébrouent, le dimanche, au Rosa Bonheur.
G2: Un peu partout, Jérémie et Alex Nippon baladaient une ironie douce, des goûts de luxe et pas mal d’empathie.
G3: Le soir de l’élection nous avions comme tant d’autres déboulé place de la Bastille, et j’avais roulé des gamelles à un Québécois sympathique. Les mouvements de foule nous entraînaient de ça, de là, et menaçaient de nous engloutir.
H1: Il fallait beaucoup de pédagogie ou de contorsions, pour faire le point de ma carrière comme de ma vie affective, et ne pas passer pour un loser.
H2: Rien écrit à l’époque de mon stage à la Compagnie du métropolitain. Sans doute que l’absurdité professionnelle, la sensation honteuse du surnuméraire et la désorientation de la balle de ping-pong atteignaient leur extrême. Pourtant, ma curiosité du pouvoir comme des schémas de transport se délectait de rebondir de cénacles discrets en ateliers de réparation, de cabine de pilotage en placards au siège.
H3: Je notais: Plus qu’assez de me demander depuis 3 ans ce que je vaux, ce que je veux faire, plus ou moins qui je suis. La plupart des gens de sont pas contraints de se poser ces questions tous les matins au petit-déjeuner.
I1: Somme toute, c’était logique de passer cet été là à L.A.
I2: C’était bien d’être venu y faire le deuil de ma belle idée de l’hiver, idée belle de la beauté du Diable.
I3: Je voulais voir tout le googie, toutes les friperies, tous les musées. Alors, comme peut-être maintenant, je me suis raccroché à ces obsessions, dont le vernis ne cachait pas toujours ma peur.
J1: SophCo quant à elle faisait une fixette sur sa ligne, et donc sur les sushis. Nos désirs vacanciers allaient en directions opposées: visiter ou pas, bouger ou se poser, la ville ou la nature, faire un régime ou tout goûter, draguer chez les pédés ou sortir ensemble. Je retrouve de cet août de belles photos mais peu de traces de ce qui a dû être un nouveau grand moment d’irritation réciproque.
J2: A Palms Springs, un oasis Wallpaper, un mirage kitsch sauvé de l’ensablement par l’énergie de centaines de folles rétro-déco.
J3: L.A. est la plus occidentale des villes de l’Ouest. Aucun sens, que de la surface. Gâchis du spectacle et spectacle du gâchis. Splendeur laide. Rien d’étonnant à ce qu’on y mette en scène tant d’apocalypses, filmées ou sectaires. Ca sent la fin, le paroxysme. Ca tourne en rond (ville de voitures et de pellicules).
K1: Back in France: Mes amis unanimes proposaient de me sous-traiter à un psy.
K2: Derniers galops avant le rencard, course-poursuite après des traits que je n’aurais jamais (charisme, esprit de synthèse, voix de mec), saut d’obstacle dada pour chevaux savants. Meanwhile, Aymeric se surpassait dans la blague vacharde: [telle directrice de l’École portant breloques], «c’est l’art total. Un rêve nietzschéen.»
K3: «Reste avec nous. Le soir approche, et déjà le jour baisse.»
L1: Enfin, ce fut la dernière classe, c’est-à-dire le dernier examen. Je voyageai; j’eus, à nouveau, la tentation d’Istamboul. Serdar, Webhi, Giray me baladèrent un peu partout, dans les arrières-cours envahies d’arbres, les bars en étage, les standup en sous-sol et les vernissages en banlieue. Les soucis se dissolvaient vite et d’abondance, tel le sucre dans le thé.
L2: La ville continuait de réserver sa part de rêve et de surprise. Courses qu’on remonte en panier à la corde, chats lymphatiques des soldeurs de livres, passages oubliés où sommeillent des révolutions, noms nostalgiques des immeubles, lenteurs des quartiers lointains, rock anatolien, traversée imaginaire, cimetières de poche, tailleur pour hipsters. Les vendeurs de marrons, de jus de grenade, de moules (les baraques à moules sont aussi les lieux canaille, les restaurants tripiers); les marchands de pain au sésame qui les portent sur la tête; les porteurs de thé et de soupe, enfants ou vieillards, et les cireurs de chaussure; les crieurs de loto. Les placides pêcheurs de la passerelle. Vieilles voilées vendant des Kleenex. Enfants en uniformes anglais. Cafetiers en gilets de laine. Marchands d’ombrelles transparentes suscités par la pluie. Cent brimborions orientaux, comme au Japon. Pamuk s’est gargarisé de ça, assez facilement. Reste qu’à Istamboul, le passé se balaye plus lentement qu’ailleurs.
L3: Tekyon: en boîte avec le plenum du parti Baas et l’association des folles souffrant d’hypertrychose. Après, on embrasse de jeunes écervelés dont les divinités protectrices sont les travelotes de la rue et Kylie Minogue. Histoires sans parole ou mal traduites.
M1: Taksim avant «Taksim». Déjà l’absurdité cupide, défigurante et réactionnaire des grands projets était apparente. On parlait de mobilisation pour sauver des arbres en centre-ville.
M2: Notes sur les chats: A certains coins de ruelles, des tas de croquette; y a-t-il un service public des chats a Istamboul? – Des Stambouliotes comme de leurs chats, il ne faut pas préjuger à leur doux yeux clairs ou à leurs dures moustaches sombres. – Bruine maritime. La poisse et la boue. Là seulement, les chats disparaissent et la foule se disperse un peu. – Istamboul est comme les chats qui la hantent. Son sommeil est doux et hypnotique, son mystère a sept vies. Mais il ne faut pas trop s’y fier quand il ronronne éternellement ou fait du charme: il peut frapper d’un vif coup de patte, comme un étrangleur ottoman. D’ailleurs, les voitures de police aboient plus qu’elles ne crient.
M3: Je rencontrai Alptekin, de Besiktas. Avatar parachevé de mes envies d’amant. On devisa en prenant le thé, au milieu du bordel à vapeur. Il releva qu’il pouvait aussi bien fumer puisque tout le lieu était illégal.
N1: Passage des panoramas: Le Bosphore est tellement fascinant que même les Stambouliotes, peut-être les citadins les plus placides de tous, austères comme des Barcelonais, rentrés comme des Londoniens, pensifs comme des Polonais, méticuleux comme des Helvètes; même eux lèvent la tête de leur lecture, dans les bus et sur les vaporetti, lorsqu’il se découvre à eux à nouveau.
N2: A Paris, il y avait dans l’époque une tentation carnavalesque, une fuite-mascarade avec sexe et alcool. D’une fête à la suivante, sans plus passer par le travail, la sobriété, l’ennui, les hiérarchies sociales. Berlin. Le refus des temps morts, la peur de l’ennui, les journées plus pleines.
N3: Comité Central publia, lui, son premier roman, dont le thème du coup paradoxal était: jamais rien n’arrive. A la fête de lancement dans l’automne parisien, Alex Nippon disait un de ses vers comme en écho: «…la tiédeur du stuc»
O1: La saison du classement. L’amphi-garnison arrivait, où l’on joue au puzzle avec la vie des gens.
O2: «…une argumentation riche mais peut être trop conceptuelle», me reprocha-t-on, comme ultime couleuvre à avaler.
O3: Un corbeau s’ébroue comme un chien dans la fontaine du bassin du Luxembourg. Un touriste chasse hargneusement les pigeons, comme un enfant. Ceux que cela n’amuse pas, à qui cela ne suffit pas, ignorent le bonheur. Ici, toute la laideur du monde, et même celle de la tour Montparnasse, sont acceptables. Il y fait un froid féroce et le soleil perce les nuages.
P1: Tout se termine par des chansons, même 2012. En voici deux (paroles de Crame): «On veut le mariage, le veuvage et l’héritage! / On veut l’adultère, la pension alimentaire!»; «Oh Taubira / Tout c’qu’on veut, c’est l’mariage, l’adoption, la PMA / L’égalité comme tout l’monde c’est tout c’qu’on attend de toi / Oh Taubira!»

Session de rattrapage (2011)

April 16th, 2013











A1: Je n’ai pas encore tout dit de Vienne. Mes parents m’y avaient rendu visite.
A2: Rétrospectivement, on doit pouvoir faire remonter là l’impression de notre incapacité définitive à changer, du moins les uns pour les autres: on reste le prisonnier d’un caractère trop entier, ou trop pudique, de malheurs qu’on garderait toujours sans les surmonter ni les partager. Dans une famille, on ne s’écoute jamais vraiment.
A3: Chez Trzesniewski, ma grand-mère et Thérèse, dans un mimétisme warholien des looks. Elles avaient voulu tout voir de Vienne, en deux jours: Mozart, Schönbrunn, les cafés, le marché, la Sécession, les grands magasins. Pourtant leur âge s’était, chose inédite, rappelé à elles au moment de repartir: «c’était crevant.»

B1: Heureusement que mes amis ne m’ont pas laissé tomber. Amis volages dans leurs passions, ogres gourmets et omnivores: «Budapest c’est trop bien» et «je vais passer un été à Lisbonne.»
B2: Amis des antipodes aux lucides énormités: «ces jeunes m’épuisent.»
B3: Amis courageux, mine de rien.

C1: De retour à Stras-,  la tare professionnelle de mon absence de charisme m’explosa à la gueule, et la sottise infantilisante, stérile et traditionaliste de l’Ecole. J’enrageais de ces contraintes, et pourtant je succombais au stress des injonctions contradictoires et de la course au bon point. L’ennui choucrouté de la ville ne faisait rien à l’affaire.
C2: J’alternais du reflux d’ambition à l’angoisse scolaire, à l’indifférence heureuse hantée par la mauvaise conscience. Heureusement que je côtoyais Aymeric, Pascale, Virginie, et quelques autres, vrais amis, ancrés dans la vie, ranimant ma foi aussi dans l’Etat.
C3: L’été, un rapide aller-retour à Bâle, une ville proprette et charmante, prospère, d’une élégance de roman courtois, comme elles le sont le long du Rhin et de la Meuse. Pour la première fois depuis mes années d’étudiant, j’y ressentis frontalement les limites de mon pouvoir d’achat. Le week-end, on entend Bâle s’enrichir en dormant. J’y fus gentiment accueilli par un ami de Dustin – d’une simplicité gentille et rustique, et d’une quiète excentricité toute helvétique.

D1: Alors partir. Faire du lointain l’habitude, embrasser le départ comme un mode de vie.
D2: Et prendre Venise, Saint-Georges-Majeur les années impaires, comme point fixe.
D3: Chaque fois je m’y trouve plus à mon aise. J’aime le calme des ruelles anonymes, appropriées par les chats et vouées au soleil. C’est là que j’ai attendu Rob, accroupi dans un coin d’ombre.

E1: Il me semble que si je revenais assez souvent, ou si je ne repartais plus, j’aurais mes repères, je saurais quel rythme donner à mes routines, et comment éviter la laideur bifrons du tourisme et du cliché.
E2: J’ai découvert Lido. Ici aussi, la dévastation moderne de l’uniformité fait son œuvre pour saper le rêve, pour expulser les souvenirs que nous bâtissent d’avance les romans.
E3: Mais dans les recoins subsistent, ici aussi, assez de lieux nostalgiques pour s’édifier dans le passé quelques vies parallèles, et pour l’avenir quelques réminiscences précieuses.

F1: Par une folle vengeance des pulsions ou de l’informatique, je n’ai plus trace des escales suivantes. Aucune copie sur les ordinateurs ; j’ai effacé un à un les clichés sur la caméra sans me douter de rien, avec une nostalgie rapide, pour faire de la place à d’autres. La perte a l’ampleur de ma propension à l’oubli. Qu’avait-on vu encore à la Biennale, où avait-on découvert un morceau de Venise moderne, qu’admire-t-on déjà aux Frari que Rob avait tenu à visiter? Et les enseignes dans les nuits d’orage et de foule au campo Sta Marguerita  Et de Trieste, ville à quai, des immeubles autrichiens en pente sous la bora, des églises byzantines, des grands ensembles fascistes du centre, des cafés élégants en voie d’extinction et de la charcuterie populaire, des traces littéraires de Stuparich et Joyce, dans l’ambiance passée et pincée? Et Miramar aussi, et  la mignardise alpine et les esplanades brutalistes et le château propret de Ljubljana. Perdu tout ça, perdu comme le reste, et un peu plus encore. C’est le moment où j’ai cessé de vouloir être avec Rob, aussi.
F2: J’ai par contre remis la main sur quelques photos du mariage en Provence de mon vieil ami Franck, un autre précieux souvenir. Un beau moment, parce qu’il avait été pensé de fond en comble, des lieux à la musique. On s’était bien amusés avec Nadia, Fix, et quelques autres. Curiosité, la soirée s’était tenue dans un beach club inverti de Ramatuelle jadis fréquenté par Michel Guy et Michou.
F3: Dans la même veine, nous avions à l’initiative d’Ivan essayé de faire le tour des derniers lieux du gai (prononcer gueille) deuxième: mais le Vagabond et le César venaient de fermer coup sur coup, emportant la poussière pailletée du souvenir, tout un passé désormais introuvable de gastronomie pédée, d’oeillades entendues et de gloussements froufroutants. Il restait encore le «champagne» surfacturé de l’Insolite, le dancing rikiki de la Champmeslé, et les clients de l’Alexander’s Bar pour ramener au temps d’avant, celui de Le Luron, de Mourousi, d’Emaer.

G1: Au Nord. Les gens m’ont plus, leur mine franche, leur robuste constitution, leur goût sans détour du plaisir, leur proverbiale hospitalité. Peut-être le don de la vie errante est-il d’apprendre à se faire des amis partout, et généralement c’est à d’autres métèques que l’on se lie ; mais à Lille, des Lillois aussi m’ont accueilli.
G2: N’était sa malédiction d’être, lui aussi, on the road, et même limogeable à vue (et puis à la main de la xénophobie d’Etat), le métier appris sur place me plairait bien. Il répond à plusieurs de mes lancinantes velléités : me plonger dans la diagonale du vide, toucher du doigt mon utilité professionnelle, exercer l’autorité.
G3: Et puis mon chef, mes collègues étaient super, et parfois bien de gauche. Ca faisait du bien.

H1: A la Toussaint, Fillette nous avait emmené dans sa campagne solognote. C’était la belle saison de la chasse, de la pâtisserie domestique, de la paresse, des promenades en forêt, des légumes de pot-au-feu, des brocantes et des histoires de fantômes.
H2: Pour venir jusqu’à Romorantin-Lanthenay, j’avais fait un changement à Vierzon, ville qui réveilla mon envie de diagonale du vide, comme une vertigineuse résurgence de solitude, un vilain vœu de voir la France profonde. Triste ville inanimée et lointaine, ville en vain. T’avais qu’à pas vouloir voir Vierzon.
H3: Dans la maison de famille, Fillette évoquait des anecdotes de bigamie chabrolienne entre l’Aisne et le Cher, si l’on peut dire. La demeure évoquait des partouzes giscardiennes, des surprise-parties modianesques, toute une vieille France suivant La règle du jeu.

I1: Tout ça ne vaut pas un clair de lune à Maubeuge. Maubeuge, pour voir. Par une de ces erreurs nouvelles que permet la réservation touristique en ligne, j’ai échoué dans un hôtel aseptisé le long d’une nationale triste, que j’ai longée longuement pour trouver un gigantesque restaurant de couscous pas folichon.
I2: La rue d’Hautmont est à l’abandon mais pas déserte, défoncée, rongée de mauvaises herbes, ses services publics en lambeaux. Des hommes sont réunis dans un estaminet sinistre, des gens sales traînent le long de la chaussée. Des animaux dépressifs stagnent dans les cages du zoo, au bout de la rue. Les corons, le canal, les fortifications: ce serait peut-être joli, sans la misère.
I3: C’est comme à Denain ou à Dutemple, on a laissé les gens et les lieux là, à leur sort, à pourrir lentement. Combien de temps peut-on oublier quelqu’un, et une ville, sans qu’ils se rappellent à vous? Rarement j’ai vu aussi nettement le quart-monde qu’en cherchant la maison où a grandi ma grand-mère.

J1: A l’invitation de Jon (ah! Jon…), j’ai rejoint Bilbao un week-end. Vieux projet. Bilbao : la jeunesse y est compacte et turbulente dans les rues, amicale et enivrée, et navigue de lieu en bar, de danse traditionnelle en pogo punk. Bee-line pour les tapas et les calimoxos. C’est l’envers joyeux de Liège, où le populaire aurait repris ses droits, son folklore, son optimisme.
J2: Il y avait pourtant, déjà, l’ombre d’une angoisse, dont Bilbao a été la fuite mais aussi l’accélérateur.
J3: Peut-être ai-je réveillé mes peurs de voyage récurrentes. Peut-être que ma fragilité affective a été touchée, et baladée, par le jeu de dandysme séduisant (à chapeau) et de distance (auf Deutsch) de Jon. L’aller-retour entre l’impératif macho, le mutisme d’un berger, l’indifférence d’un nerd.

K1: Gare de Lyon, au retour d’un week-end beaux-arts avec Matthieu DC. J’ai noté, alors, que je ne comprenais même plus les visages, que leur sens, leur possible beauté devenaient insaisissables.
K2: Il devenait nécessaire d’élucider le paradoxe : est-ce l’impossibilité géographique qui a créé mon éloignement affectif de tout, ou est-ce la peur de la proximité qui a su, toujours, mettre de la distance?
K3: Tout m’est devenu étouffant, les réunions de famille comme la scolarité, l’on et l’off de ma vie. Je ne crois pas que mon entourage l’ai entendu, même s’il a réagi, ensuite. J’aurais pu tout envoyer paître, tous ces devoirs, et les autres, et moi ; mais je n’en ai rien fait, car l’apathie gagne toujours à la fin, et le conformisme.

Tout cela est plus stupéfiant encore qu’écœurant. Que les socialistes soient des gestionnaires de centre-droit à la petite semaine doublés, de temps à autre, d’affairistes blasés, on l’avait compris; ça a fait déjà du dégât. Il m’avait juste semblé que ce j’ai pu comprendre ces derniers temps, moi, d’un point d’observation anodin du pays, d’un point biaisé même par les privilèges de ma classe et le confort de ma condition, eh bien le sommet, informé par mille capteurs policiers et statistiques, éclairé par le talent des gens qui l’occupent (car ils n’en manquent pas, Cahuzac a même un côté génie du crime orthoplastique), le sommet donc l’aurait perçu, et qu’il se serait restreint.

C’est ceci: des points de non-retour sont désormais franchis. Non-retour dans la défiance, dans l’iniquité, dans la brutalité. La France n’est plus homéostatique, elle roule à l’abîme (lequel?). La violence politique se généralise dans les discours et se réveille dans les pratiques. Le sarkozysme a galvaudé la vulgarité, l’injure et la désignation de boucs émissaires, selon des méthodes fascistoïdes inédites depuis plusieurs décennies; il n’a pas hésité à malmener concrètement pauvres, migrants et parfois opposants. Dans le camp de nos pires ennemis, les intégristes font le coup de poing homophobe et casseront des gueules quand l’occasion se présentera (celles des pédés et les autres), ça ne saurait tarder. Dans mon propre camp, les têtes s’échauffent et rêvent à voix haute de salut public, discours qui se disqualifie de moins en moins comme d’une maladie infantile.

Face à cela, je pensais que le pouvoir serait prudent, trait qu’on lui supposait. Prudent dans sa complaisance aux puissants qui pourtant condamne sa politique. Prudent dans ses manœuvres tactiques d’arroseur arrosé (je pense au détail concret de la gestion de la loi «mariage pour tous» et des manifestations homophobes). Prudent dans les abus, qui en font de ce jour un objet de détestation personnelle. Il n’en est rien, il s’est vautré triplement dans la trahison, l’approximation et la corruption.

Voilà qui laisse peu de champ aux républicains sincères et aux pacifistes, aux démocrates socialistes aux rangs desquels je crois devoir me compter. Rarement ai-je tant eu le sentiment de n’être pas fait pour mon temps et que celui-ci me le fera payer.

La rue du babouin

February 25th, 2013

Bientôt les résultats des élections les plus cool de l’OCDE (sauf pour les habitants du pays). Pour mieux tout suivre et savoir où en sont l’Italie des valeurs (à l’extrême-gauche), Fini (au centre-droit, au sein de Futur & Liberté), le Parti des retraités (à droite) et Emma Bobino (nulle part, comme d’hab), deux petits graphiques avec les coalitions et les listes indépendantes. J’espère que l’absence d’apparentement du PLI et du PRI n’annonce pas leur disparition, mais juste l’imminence d’une constituante républicaine qui permettra de créer la Nouvelle UDEUR.

Les Verts sont en train de fonder une sorte d’Europe-Écologie (sous l’impulsion de notre Cohn-Bendit binational) mais qui s’est affiliée au Front de gauche transalpin, la Révolution civile. Ce qui lui fait bien les pieds, je pense, à Dany. Les centristes de gauche ont fait plein de trucs fous-fous, genre une dissidence d’ex-Marguerites qui trouvaient le Parti démocrate trop socialiste (WTF?!) et ont fait une scission avant de se regrouper avec des dissidents de l’Italie des valeurs au sein du Centre démocratique. Et la Rete s’est recréée mais avec les mouvements civiques de la gauche de gauche. Eh ouais, l’Italie c’est comme un congrès du Modem mais avec le sourire.

Sinon, mon amoureux m’a appris qu’en Italie, une liste bidon créée pour instiller la confusion s’appelle une liste-chouette (comme hibou). Un superbe exemple avec la liste Vote protestataire de Beppe Cirillo, le faux Beppe Grillo.

Confetti’s

February 17th, 2013

Au Liechtenstein, la droite bat la droite aux élections.

A noter, l’abondance de vannes dans l’onomastique partisane: les écolo-progressistes locaux de la Liste libre s’appellent FL (comme l’abréviation minéralogique du pays, Fürstentum Liechtenstein), la liste Les Indépendants dont l’acronyme DU dit à la fois «toi», en allemand, et fait allusion à l’Union patriotique (VU) dont elle a fait scission. Ah-ah-ah, on sait s’amuser dans la patrie des prothèses dentaires et des comptes offshores teutons.

A Monaco, les divers partis de droite (libéraux, conservateurs, dynastiques) sont entraînés dans un tournoiement de nouvelles coalitions aussi aléatoire (ou pipé) que le parcours d’une bille de roulette. Comme à la roulette, on perd à la fin. Pour la première fois néanmoins, un parti progressiste, Renaissance, fait son entrée au Conseil national. Il représente les personnels de la Société des bains de mer et promeut des positions quasi de gauche (droit à l’avortement et PMA, lutte contre la spéculation immobilière et la destruction du patrimoine monégasque,  indépendance des fonctionnaires aux intérêts politiciens).

Les intitulés et les logos de listes sont moches et clinquants comme ceux d’un panachage municipal varois: logique.

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