Freedonia

La drôle de paix et l’étrange victoire.

Je l’ai écrit il y a cinq ans, je le redis avec plus d’alarme: je crois notre pays épuisé, recru de misère et de bouleversements subis. On a dit, depuis, «dépressif». J’ai été surpris en 2007 qu’il préfère Sarkozy a Bayrou, la surenchère de coups de mentons et l’agitation caporaliste. Encore une fois, il a cru trouver son bonheur dans la geste d’un seul, les miracles d’un guérisseur d’écrouelles, la chute de foudre impérial des décisions venues d’en haut.

A chaque étape de la régression sociale violente, de l’attaque concertée sur l’Etat (son mât de chapiteau), du recul des libertés républicaines, j’ai été surpris qu’il ne se soulève pas. Il a pourtant une longue histoire d’insurrections inattendues (c’est un peuple frondeur). L’explication la plus simple que j’y trouve, finalement, est que l’anémie est déjà trop avancée, que ces dernières «réformes» sont comme des gifles a un neurasthénique.

J’ai eu cette discussion politique avec un ami, qui me disait a peu près: les Français attendent (encore) quelqu’un qui reprenne les choses en main, qui les dirige pour de bon. Je n’en suis pas si sûr. Plus cette fois-ci.

Marine Le Pen part de ce besoin pressenti, et comme tous les fascistes, avive le culte du chef. Mais elle est toujours goguenarde, presque hilare de la situation et de ses propres suggestions. Elle ne me semble pas prendre le pouvoir bien au sérieux, ni son électorat, ni son programme. D’ailleurs, sous le racisme de convention de ceux-ci, il n’y a plus guère que l’égoïsme nu et increvable du poujadisme, et la recherche éperdue de boucs émissaires pour notre désastre: qui croit sérieusement, en son for, que notre impasse soit surtout celle des «immigrés» ou des minorités?

Sarkozy lui aussi escompte séduire cette demande d’homme providentiel, en doublant le mensonge encore une fois – dans ce Ponzi de libéralisme autoritaire qu’est sa politique. Je serais cette fois stupéfait que cette ficelle marche. (il faut préciser que j’ai écrit ces lignes en janvier, quand j’étais encore à Lille.)

Hollande fait le pari inverse. Il promet «le changement sans le risque», un pouvoir modeste, plus de place aux corps intermédiaires. Je pense que notre pays crève du culte de la hiérarchie. Dans une nation de gens surdiplômés, on continue d’attendre toute décision, même la plus futile (et pas les seules impulsions) du haut de la pyramide, du sommet unique. On doute des jeunes, comme de l’intelligence du middle-management. On navigue entre l’inertie bureaucratique et le foudroiement des oukazes, sans jamais s’intéresser a la gestion.

Pour autant, cette solution de subsidiarité, chez Hollande, recèle je crois pas mal de pièges: geler la carte d’une décentralisation atomisée et sans cohérence, confier plus encore a l’incurie gestionnaire des partenaires sociaux.

* * *

Depuis le début, j’ai compté voter Mélenchon, et c’est ce que j’ai fait tout à l’heure. Je crois au cœur de l’argument de cette partie-là de la gauche, qui est tout simplement l’existence de la lutte de classes et la nécessité d’exercer un rapport de forces. Il me semble que le Front de Gauche concrétise cette exigence au point où nous en sommes rendus.

Je suis heureux et même un peu ému que le rapprochement de plusieurs familles, toutes précieuses dans leur apport idéologique et militant, – républicains laïcs, socialistes non dilués, libertaires identitaires (mouvements de pédés, de femmes, de visibles, d’espérantistes, etc), écologistes et alternatifs – se profile enfin dans notre pays: j’ai envié les Pays-Bas pour GroenLinks. Cela, d’ailleurs, ne se fera pas sans mal, et peut-être même pas du tout tant sont grands les rancœurs et le quant-à-soi.

Comme cette famille recomposée de la gauche, je refuse le système césariste de l’élection d’un chef; en ce sens, je suis un partisan de la VIème République. C’est pourtant sans déplaisir que je vote pour Mélenchon comme personne, tant je lui sais gré de son éloquence digne et classique, d’avoir su exprimer la fraternité entre souchiens et issus-de-l’immigration et entre les deux rives de la Méditerranée, d’avoir réalisé au moins à titre provisoire une synthèse entre ces courants de pensée entre lesquels je ne veux pas choisir. Ou autrement dit, de mettre le juquinisme aux alentours de 15%.

Parce que le pays va bien mal, je doute qu’il passe devant Le Pen. Mais cette campagne Mélenchon, dans ce que j’en ai vu et un peu vécu (en accompagnant Fillette et sa bande de pédales mélenchonistes au meeting de la porte de Versailles), me paraît remarquablement chaleureuse, enthousiaste, généreuse, drôle, bref prometteuse.

“Power concedes nothing without a demand. It never did and it never will.” (Frederick Douglass)

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