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Dead end.

Peut-être que cela me fera du bien de purger mes sentiments sombres ici. Ce blog a le mérite de n’être lu par personne, ou des amis dont l’amitié s’est faite suffisamment discrète et intermittente pour me foutre complétement la paix.

Vers la fin de l’année, j’ai ressenti un désarroi complet. La scolarité m’a semblé d’une absurdité écrasante, une sorte d’immense contrainte d’école primaire destinée à broyer notre originalité et notre volonté. La perspective de retourner à Strasbourg pour me soumettre à la mascarade de cours vides et d’examens surveillés de six heures m’est devenue réellement insupportable. J’exècre cette ville tellement froide et ennuyeuse qu’elle glace le cœur, je vomis la mentalité de petits flics de l’ENA qui en fait l’authentique parangon de l’enseignement français, je m’éteins de devoir patienter encore un an loin de la vie, même dans cette forme étouffée et languide de la vie qu’on appelle Paris. J’ai plus que jamais l’impression d’avoir passé tout l’âge adulte à retarder le vif du sujet, que je n’en suis encore qu’à la couturière de mon existence. Jamais de responsabilités, ce qui semble le lot commun de ma génération et tout particulièrement de ses braves garçons ; et toujours un agenda plein d’obligations de famille ou d’amitié, vaguement entrecoupées par les hoquets animaux de mon désir, de mon besoin d’être désiré. Une sorte de gigantesque exil loin de l’action, du réel, du neuf. L’impression que l’excellence dont chacun me barde (parents, amis, administration etc.) est une lamentable fiction de papier, une accumulation de diplômes inutiles et castrateurs, l’exponentielle du mensonge qu’on fait aux “jeunes de banlieue” en leur disant: «avec de belles études…» L’impression de n’avoir rien fait, ni pour les autres ni pour moi, rien de marquant, d’original, de grand. La certitude d’être petit.

Mes besoins sexuels se sont, sinon évanouis, du moins éteints. La plupart des types me semblent laids, ou pour le moins leur beauté occasionnelle me paraît une réalité indifférente, impropre à la consommation. Par habitude et besoin de chaleur, et par erreur il faut le dire, je suis allé au bordel (Lille en a de très bien, dans le genre). J’y ai croisé un garçon qui avait un beau visage et devait être aussi largué que moi. Il n’a pas dû comprendre ce que j’attendais de lui et je n’ai pas, moi, bien saisi ce qu’il disait. On se demandait sans cesse: «ça va?», et c’était loin de faire l’évidence. Il avait besoin de mon creux d’épaule, et réciproquement. Il a peut-être pensé que j’abusais de cette forme de fragilité et de tendresse qui sourdait de lui, pour arriver à mes fins, mais cela n’a pas été le cas parce que je n’en avais pas. Il s’appelait Kevin et venait de Wambrechies (et ceux qui pensent que c’est ridicule, sont des salauds ou des imbéciles).

Je me suis révolté contre ce Destin médiocre et laid, ce dieu mauvais, ce dieu sourd, toute cette solitude et cette absurdité. Un peu avant le Jour de l’an, j’ai discuté sur internet avec un type américain qui était, alors, à Paris. Je crois que j’ai été époustouflé par lui, par son assurance de jetsetter, par son sourire et sa jeunesse, par son succès, par la beauté qu’il a et qui est mon genre. Je me suis lancé là-dedans, en fracassant bien volontiers en pensée les cadres de mon existence actuelle – son enchaînement à Paris, à l’administration, à l’inertie qui m’empoisonne doucement. Rêver une vie à New York ou Los Angeles, former des hypothèses inédites et grisantes, accomplir les gestes de séduction les plus inouïs et les plus insensés, comme faire porter des fleurs à un inconnu; tout cela m’a plu, m’a aidé à passer l’année, m’a ouvert à titre temporaire quelques pistes. Ce type s’est payé de mots, à mes frais, lançant la machine de mes songes avec tout l’égoïsme que suppose et qu’implique la réussite, et l’arrêtant comme on met à jour son statut Twitter, ce qui est aussi une fin; sinon j’en serais toujours à bâtir un scénario de couple éternel outre-Atlantique.

Je suis assez las; en quoi, comme la boue à la chaussure, je colle à mon époque et à mon pays, qui sont bien sevrés d’espoir et d’élan.

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One Response to “Dead end.”

  1. hamlet

    Je trouve ton texte emouvant. Accroche-toi, la partie ne fait que commencer. Crois en la grandeur du politique et baise.

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