Freedonia

«Garde-nous simples et gais.»







A1: L’été venu, Mme Gujarat décida d’arrêter son restaurant, après 10 ans de trime. Elle souriait: elle allait pouvoir enfin voir son fils le soir, et profiter de la vie.
A2: Pour un jour seulement, avec Giray, on pouvait se rouler dans les augustes fossés, au bout de la Brie. Averse en soirée, ne pas compter sur les breaks normands pour prendre en stop deux gendres idéaux, mais turcs.
A3: Avec SophCo et Rob, j’avais pris des vacances tarnaises, comme un intermède. C’est le vieux pays de collines et de canicule, de virages et de pâtures, de villégiatures anglaises et de festivals, de crise laitière et de bons hommes.
B1: Puis je me claquemurai dans la banlieue.
B2: Au Monoprix, je croisais les fantômes de camarades de collège. Comme naguère, je fendais la banlieue à vélo; cette fois casqué comme un champignon de Paris.
B3: La nuit, la maison craquait de bruits étranges, je cauchemardais l’intrusion de voleurs. De jour, une voiture empruntait parfois l’avenue.
C1: Arrosage, lessives, piscine, journal! Routines et fuites de mes révisions.
C2: Le lundi, droit, rouge. Le mardi, économie, jaune. Le mercredi…
C3: L’occasion était belle aussi de sillonner les ruelles de Sèvres et Saint-Cloud. Les maisons de rapport étaient devenues des pavillons bourgeois fermés pour l’été, l’usine: un Club Med Gym, le train de banlieue: un tram automatique aux gares à l’abandon. Seul persévérait, tutélaire, lisse, mais louche, le siège social de Dassault.
D1: Le mariage de Piwaï avait était le temporaire dénouement, heureux et classe, d’une longue telenovella.
D2: A la gay pride comme à Breteuil, Pif récriminait contre son travail, la vie, les gens, mais n’en continuait pas moins de pédaler.
D3: Et à Toulouse, summerkisses.
E1: En 2010, on réunit pour les trier les «mandarins de la société bourgeoise» dans un sous-sol de la Défense. Comme un grand parking à élites de la Nation.
E2: Sous la surveillance impitoyable d’un ancien adjudant / imitateur de Chaban-Delmas, ils composent 25 heures.
E3: Avec ou sans eux, «L’Etat peut-il disparaître?»
F1: «Et vous tous! à la file ou confondus en bande / Ou seuls, vision si nette des jours passés, / Passions du présent, futur qui croît et bande / Chéris sans nombre qui n’êtes jamais assez!»
F2: Assez vite, les révisions avaient repris. Foin de solitude banlieusarde, il s’agissait de garder la tête froide et toute une en plein Paris, à proximité immédiate de l’internet.
F3: Emmanuel de Ngroung me menait à pied et nuitamment jusqu’à Sartrouville, et retour. Nippon laissait sa carte, en cas de garde à vue.
G1: Ç’avait été un beau septembre et un plus bel octobre manifestants. Mes parents ne rataient pas une marche; ComitéCentral venait looké; on croisait de la famille, des amis. On se demandait: est-on moins cette fois-ci?; on se rassurait: tu as vu comme on est serrés; on communiait à ce plaisir sans parallèle, une foule qui se reconnaît comme le peuple.
G2: Je fis un petit plaisir à Braouezec en le reconnaissant et succombai au people-spotting au carré VIP du PS. (il a pris du cul Benoît Hamon, non?)
G3: «Embauchez des jeunes et libérez les vieux!»

***

Je suis onomamnésique, peut-être une forme atténuée de prosopagnosie. Mon père est vers le stade 2 (de 5) de la syllogomanie. Ma mère est une mère juive, sauf qu’elle est goy. Ma sœur serait la plus équilibrée d’entre nous, n’était sa paranoïa critique.

***

Avec l’internet, nous nous enlisons dans des conversations de comptoir auxquelles on n’aurait prêté qu’une oreille dans un troquet réel, avant de se replonger dans nos propres pensées; dans l’ignoble du «j’n'en dis pas plus, on se comprend» des haines ressassées et tous-pourristes; dans une sorte de lie de la pensée politique approximative, pleine de raccourcis et de surnoms (Ségolène, Le Facteur, Sarko), grumelée d’équivalences douteuses et de points Godwin; dans une boue de pensée, héritière du courrier des lecteurs du Figaro: ce sont les comments sur les sites de presse et, en tendance, sur Facebook (dès lors qu’on «échange» avec des amis d’amis inconnus).

Plus obscène encore, internet nous livre les pensées des inconnus (et appelés à le rester) sur nous, il nous soumet aux désirs sadiques quoiqu’indécis des petits tortionnaires de harem virtuel. Libérés des bornes de la civilité ou de la simple prudence qu’impliquent le face-à-face, quiconque peut sur internet mentir, confier ses troubles fantasmes, faire miroiter, injurier, tout ramener à soi, mépriser, haïr copieusement, consommer autrui sans autrui: ce sont les tchattes de drague, quelque part entre l’hystérie et Torquemada.

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